- C'est une réaction allergique.
Le médecin avait déclaré ça d'un
ton joyeux. Pensez-donc, on venait de poser un diagnostique. Il y
avait de quoi se réjouir. On ne connaissait pas de traitement, on
ignorait même si c'était mortel ou bénin. Mais au moins on savait
ce que c'était.
Amélie était venue en consultation
pour une sensation de brûlure persistante aux yeux. Après une série
d'examens chez l'ophtalmologue qui n'avait rien donnée, son
généraliste avait fini par lui demander de raconter précisément
ce qui amenait les crises. Le verdict était tombé : Elle souffrait
d'une allergie sévère au témoignage et s'était vu prescrire une
interdiction de témoigner. Sevrage total. C'était bien embêtant,
parce qu'elle venait d'être appelée à l'école du dimanche et que
dans le manuel, il était marqué que l'instructeur devait rendre son
témoignage.
Comme tout alergique, Amélie
avait recherché des alternatives. Elle avait tenté le témoignage
très bref, le chuchoté, celui qui commence par "cette semaine,
j'ai vu à la télé". Peine perdue. Même celui qui prétendait
que c'était arrivé à une très bonne amie lui provoquait de
violentes crises de larmes. C'était très embêtant.
En désespoir de cause, elle
avait consulté un alergologue qui lui avait proposé un traitement
de desensibilisation. Cela consistait à lui administrer tous les
jours une toute petite dose de témoignage.
-Voici votre flacon pour le
premier mois, dit le médecin en lui tendant la substance.
Dans une bouteille de verre
fumé se trouvait le précieux liquide.
-Faites bien attention,
c'est un poison violent. Du témoignage ultra concentré ! Ne
dépassez surtout pas la dose prescrite. Une goutte, pas plus !
Précisa-t-il, s'assurant qu'elle avait bien compris.
Amélie rentra chez-elle, le
coeur léger. Il y avait un espoir.
-C'est un
labo Suisse qui fait ça. Ils font des prélèvements les derniers
jours d'EFY, ensuite ils centrifugent pour qu'il ne reste que
l'essenciel. C'est ultra, ultra violent, expliqua Marie en rangeant
son médicament tout en haut de la porte du frigo. Vous n'y touchez
pas, sous aucun prétexte !
Son mari
opina, son fils agita gravement la tête, sa fille acquiéça.
La maison
était silencieuse, Amélie profitait que ses enfants dorment encore
pour prendre son petit déjeuner. Touillant son chocolat chaud, elle
relisait la notice de son flacon. Les effets secondaires étaient
aussi nombreux et effrayants que pour n'importe quelle boite de
cachet digne de ce nom. Palpitation, perte de mémoire, euphorie,
syndrome de "je vous aime tous" pour le principe actif.
Que des symptômes déjà connus du témoignage. La partie qui
concernait les exipiants était déjà plus exotique. Eruption
cutanée (Acné), fatigue chronique, rires hystériques, état
fébrile, déséquilibre hormonaux... La liste de ce qu'il en
coûtait d'extraire du témoignage de Jeune Gens/Jeune Filles n'en
finissait pas.
Amélie
hésita un instant, puis, déterminée, elle prit sa dose du jour, la
laissant fondre sous la langue. Cinq ans de ce manège. Il fallait
prier pour qu'aucun des effets indésirables ne se manifeste.
-Docteur,
c'est terrible, je ne supporte pas du tout le traitement, s'exclama
Amélie, un mois seulement après.
Se
voulant apaisant, le médecin la laissa s'asseoir et déballer sa
journée, en lui assurant qu'ils trouveraient une solution.
-J'ai
trente-cinq ans, je suis mariée, mère de deux enfants... Je ne peux
pas être une groupie de missionnaire ! Vous rendez-vous compte de
l'image desastreuse que je donne ?! Elder machin, que vous êtes
drôle. Elder Bidule vous êtes amazing ! En plus je passe mon temps
à tripoter mes cheveux. Ce n'est pas simplement ridicule, ça les
rend très très gras.
Remontant
ses lunettes, il détailla la notice que lui avait tendue Marie. La
drague de missionnaire faisait effectivement partie des effets
indésirables de l'exipiant.
Au moins,
ce n'était pas la subtance active qui était mal tolérée.
-Nous
allons changer de produit. En attendant, demandez à votre mari de
porter une plaque de missionnaire, ça devrait pallier à votre
addiction.
Roger
sembla très peu goûter de devoir porter la plaque "futur
missionnaire" de son fils cadet. Sa femme ne lui parlait plus
qu'en englais, et l'imaginait extrêmement humilié. Elle-même
aurait aimé pouvoir invoquer les montagnes pour qu'elles lui tombent
dessus tant elle avait honte. Tout rentra dans l'ordre cependant,
grâce au nouveau concentré de "témoignage de missionnaire
muté". Beaucoup plus sobre.
Six mois
avaient passés. Carine, la cinquantaine, s'installait dans le
cabinet du médecin que lui avait conseillé Amélie.
-Je peux
la comprendre, ce n'est pas sa faute la pauvre. Pas de témoignage,
alors, elle compense comme elle peut. Mais elle en inonde la
paroisse. A chaque leçon ! Une citation, une photo, un extrait de
discours, ... Elle n'en rate pas une. Je n'ose même pas prononcer le
mot, ça le met dans un état monstrueux.
-Bon, je
vais l'observer. Vous le sortez de son sac ? Le mieux c'est de le
voir pendant une crise, vous en avez un ?
-Ah non,
je les ai tous jetés, par sécurité.
Le
médecin farfouilla dans un tiroir, puis, brandissant un petit
post-it, il déclara :
-J'en ai
un ! Alors mon grand, tu ne supportes plus les marques-pages ?
Le livre
de mormon couina lamentablement et tenta de fuir.
-Allez,
tout doux. Regarde, je le range. Voilà, il a disparu.
-Alors,
c'est grave ?
-Un cas
typique...
Le
médecin sortit une ordonnance, griffona le nom de quelques
anti-staminiques, puis tendit la feuille, déclarant :
-C'est
une réaction allergique.
Morte de rire! Mais où tu as bien pu trouver une idée pareille? J'adore!
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