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lundi 27 janvier 2014

Participation de Flora

Posted by Flora/Flux On 09:25 1 commentaire
- C'est une réaction allergique.
Le médecin avait déclaré ça d'un ton joyeux. Pensez-donc, on venait de poser un diagnostique. Il y avait de quoi se réjouir. On ne connaissait pas de traitement, on ignorait même si c'était mortel ou bénin. Mais au moins on savait ce que c'était.
Amélie était venue en consultation pour une sensation de brûlure persistante aux yeux. Après une série d'examens chez l'ophtalmologue qui n'avait rien donnée, son généraliste avait fini par lui demander de raconter précisément ce qui amenait les crises. Le verdict était tombé : Elle souffrait d'une allergie sévère au témoignage et s'était vu prescrire une interdiction de témoigner. Sevrage total. C'était bien embêtant, parce qu'elle venait d'être appelée à l'école du dimanche et que dans le manuel, il était marqué que l'instructeur devait rendre son témoignage.
Comme tout alergique, Amélie avait recherché des alternatives. Elle avait tenté le témoignage très bref, le chuchoté, celui qui commence par "cette semaine, j'ai vu à la télé". Peine perdue. Même celui qui prétendait que c'était arrivé à une très bonne amie lui provoquait de violentes crises de larmes. C'était très embêtant.
En désespoir de cause, elle avait consulté un alergologue qui lui avait proposé un traitement de desensibilisation. Cela consistait à lui administrer tous les jours une toute petite dose de témoignage.
-Voici votre flacon pour le premier mois, dit le médecin en lui tendant la substance.
Dans une bouteille de verre fumé se trouvait le précieux liquide.
-Faites bien attention, c'est un poison violent. Du témoignage ultra concentré ! Ne dépassez surtout pas la dose prescrite. Une goutte, pas plus ! Précisa-t-il, s'assurant qu'elle avait bien compris.
Amélie rentra chez-elle, le coeur léger. Il y avait un espoir.
-C'est un labo Suisse qui fait ça. Ils font des prélèvements les derniers jours d'EFY, ensuite ils centrifugent pour qu'il ne reste que l'essenciel. C'est ultra, ultra violent, expliqua Marie en rangeant son médicament tout en haut de la porte du frigo. Vous n'y touchez pas, sous aucun prétexte !
Son mari opina, son fils agita gravement la tête, sa fille acquiéça.

La maison était silencieuse, Amélie profitait que ses enfants dorment encore pour prendre son petit déjeuner. Touillant son chocolat chaud, elle relisait la notice de son flacon. Les effets secondaires étaient aussi nombreux et effrayants que pour n'importe quelle boite de cachet digne de ce nom. Palpitation, perte de mémoire, euphorie, syndrome de "je vous aime tous" pour le principe actif. Que des symptômes déjà connus du témoignage. La partie qui concernait les exipiants était déjà plus exotique. Eruption cutanée (Acné), fatigue chronique, rires hystériques, état fébrile, déséquilibre hormonaux... La liste de ce qu'il en coûtait d'extraire du témoignage de Jeune Gens/Jeune Filles n'en finissait pas.
Amélie hésita un instant, puis, déterminée, elle prit sa dose du jour, la laissant fondre sous la langue. Cinq ans de ce manège. Il fallait prier pour qu'aucun des effets indésirables ne se manifeste.

-Docteur, c'est terrible, je ne supporte pas du tout le traitement, s'exclama Amélie, un mois seulement après.
Se voulant apaisant, le médecin la laissa s'asseoir et déballer sa journée, en lui assurant qu'ils trouveraient une solution.
-J'ai trente-cinq ans, je suis mariée, mère de deux enfants... Je ne peux pas être une groupie de missionnaire ! Vous rendez-vous compte de l'image desastreuse que je donne ?! Elder machin, que vous êtes drôle. Elder Bidule vous êtes amazing ! En plus je passe mon temps à tripoter mes cheveux. Ce n'est pas simplement ridicule, ça les rend très très gras.
Remontant ses lunettes, il détailla la notice que lui avait tendue Marie. La drague de missionnaire faisait effectivement partie des effets indésirables de l'exipiant.
Au moins, ce n'était pas la subtance active qui était mal tolérée.
-Nous allons changer de produit. En attendant, demandez à votre mari de porter une plaque de missionnaire, ça devrait pallier à votre addiction.
Roger sembla très peu goûter de devoir porter la plaque "futur missionnaire" de son fils cadet. Sa femme ne lui parlait plus qu'en englais, et l'imaginait extrêmement humilié. Elle-même aurait aimé pouvoir invoquer les montagnes pour qu'elles lui tombent dessus tant elle avait honte. Tout rentra dans l'ordre cependant, grâce au nouveau concentré de "témoignage de missionnaire muté". Beaucoup plus sobre.

Six mois avaient passés. Carine, la cinquantaine, s'installait dans le cabinet du médecin que lui avait conseillé Amélie.
-Je peux la comprendre, ce n'est pas sa faute la pauvre. Pas de témoignage, alors, elle compense comme elle peut. Mais elle en inonde la paroisse. A chaque leçon ! Une citation, une photo, un extrait de discours, ... Elle n'en rate pas une. Je n'ose même pas prononcer le mot, ça le met dans un état monstrueux.
-Bon, je vais l'observer. Vous le sortez de son sac ? Le mieux c'est de le voir pendant une crise, vous en avez un ?
-Ah non, je les ai tous jetés, par sécurité.
Le médecin farfouilla dans un tiroir, puis, brandissant un petit post-it, il déclara :
-J'en ai un ! Alors mon grand, tu ne supportes plus les marques-pages ?
Le livre de mormon couina lamentablement et tenta de fuir.
-Allez, tout doux. Regarde, je le range. Voilà, il a disparu.
-Alors, c'est grave ?
-Un cas typique...
Le médecin sortit une ordonnance, griffona le nom de quelques anti-staminiques, puis tendit la feuille, déclarant :
-C'est une réaction allergique.

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