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lundi 27 janvier 2014

Félicitation à Dray !

Je vous laisse découvrir sa nouvelle.

Il n'y a pas dix milliards de façon de préparer un déménagement.
Enfin, si. On peut s'y prendre vraiment à l'avance, s'organiser, faire des petites listes (des tonnes de petites listes, les gens biens et organisés font des petites listes), avoir des cartons tous de la même taille, prêts à remplir de tout un tas d'objets colorés et utiles. Ou on peut se dire que ça va, on est large; et réaliser entre deux courses et arrivées en retard à l'heure des Mamans, qu'on a trois malheureux cartons. Cartons dénichés, mouillés, aux poubelles de la pharmacie d'à coté. Et réaliser que oui, dites-donc, le temps est passé tellement vite qu'il va au moins falloir passer chaque soir à ne faire que ça si on veut en avoir fini le jour fatidique de l'état des lieux.
Voilà, ça c'est plutôt ma façon à moi de faire.
J'avais beaucoup de temps mais j'avais omis de prendre en considération que les cinq longues semaines de préparation étaient en réalité très, très courtes. Parce que la première semaine, la longue soirée sans les enfants a, en faites, été prise par mes obligations de sœurs visiteuses. Que le week-end suivant, lui, était pris par cette activité de soso de confection de marsouins en peluche pour les orphelins de Malaisie (c'est moche un marsouin en peluche, j'ai presque eut honte en imaginant le pauvre gamin qui auraient droit à mon épouvantable création). Et la semaine d'après il semble que les patients les plus épouvantables du monde se soient donné rendez-vous dans mon service, avec comme mission de me faire rentrer chez moi dans un état proche de la serpillière trop essorée.
Bien sur David travaillait bien trop pour que je puisse imaginer qu'une partie du colossal boulot puisse être absorbée par ses bras musclés. Oui, mon mari a des bras musclés. Je l'ai épousé pour tout un tas de raisons et j’avoue que les bras musclés sont le petit point bonus qui me fait encore sourire. Mais aujourd'hui ses bras musclés ne sont pas en train de m'aider à faire les cartons, alors bon...je souris moyennement...
Alors j'en étais là, à trois semaine et trois cartons humides de mon déménagement.
J'ai remonté mes manches, j'ai appelé les garçons et je leur ai dit de ranger leurs jouets dans le grand carton, oui celui là, non pas le petit carton mouillé.
Et j'ai commencé à trier leurs vêtements. En m'arrêtant toutes les dix minutes pour régler leur chamailleries j'avais terminé le carton « vêtements d'été » quand David rentrait.
J'ai béni le sens pratique de David (qui m'était bien plus utile que ses biceps) quand il m'a dit qu'il ramenait dix cartons du supermarché d'à coté. Quand en plus, il m'a dit que ces cartons là n'étaient pas mouillés, j'ai su que je suivrai cet homme jusqu'au royaume céleste (sauf si mon addiction aux petits potins mesquins m'oblige à faire une halte au royaume téleste...)
« Je suis lancée dans les cartons, tu fais le repas, mon cœur ? »
Et j'ai cartonné. Pendant qu'il faisait à manger, pendant qu'il donnait à manger, pendant qu'il envoyait les enfants prendre leur bain. J'ai cartonné comme si ma vie en dépendait parce que la motivation était là et qu'il ne fallait surtout pas la gaspiller.
J'ai compté les cartons faits, pour évaluer mon efficacité. J'en ai compté huit, puis j'ai décoché mentalement celui des garçon en enjambant la montagne de playmobil qu'ils avaient visiblement préféré ressortir de leur carton fraîchement fermé.
« J'en fait encore un et j'arrête »
L'appartement était calme, les garçons s'étaient couchés, David se brossait les dents, et j'ai attaqué le bureau, ce machin fourre-tout, sur lequel traînent des papier dans tous les sens, des objets du quotidien qui n'ont pas été utilisés depuis six mois et le bol de céréales du petit dernier (Pourquoi sur le bureau de la chambre des parents, pourquoi ? Les enfants ont une case toute particulière consacrée à l'invention de nouvelle place pour chaque objet. Comme par exemple ranger le cahier de la maîtresse à faire signer pour demain sous les yaourts dans le frigo). Après avoir ramené le bol dans la cuisine en pestant, j'ai commencé le tri des papiers : Ne surtout pas mélanger la paperasse à régler avant de partir car il n'y a rien de pire que d'oublier de payer la redevance télé parce qu’on l'a perdue dans le déménagement. Je le sais parce que je l'ai déjà fait.
J'avais enlevé et classé en trois tas tous les papiers, quand j'ai remarqué la boite bleue qui était là depuis une éternité et qui avait plus où moins disparu, engloutie sous des couches sédimentaires de notes, post-it, papiers importants et prospectus accumulés en deux ans de gestion administrative hasardeuse. La boite bleue qu'on n' avait jamais pris le temps d'ouvrir.
« Chéri, on fait quoi de la boite que ta mère t'as donné ? On classe maintenant où on s'en occupe dans le nouvel appart ?
-La boîte ?
-Oui, celle qu'elle t'a donné à Noël, y a deux ans.»
David a passé la tête par l'embrasure de la porte « Tu fais ce que tu veux, ma chérie, tu ne veux pas te poser un peu ? Y a un truc sympa à la télé. »
Je me suis assise en tailleur sur la pile de papiers « à classer, pas urgent » (les deux autres, c'était « poubelle » et « à classer, très urgent ») et j'ai ouvert la boite, histoire de me faire une idée de ce qu'il y avait dedans.
Des photos en vrac, des enveloppes, un bracelet de nouveau né, une toute petite boite en bois avec trois dents de lait à l'intérieur.
Je me suis arrêtée en pouffant de rire sur la photo de mon homme, en slip de bain rouge, gaulé comme une brindille, lorsqu'il avait huit ans. J'en ai regardé d'autres avec plus d'attention.
« Elle était super belle quand elle était jeune, ta mère. Ta sœur lui ressemble vraiment... »
Je l'ai entendu répondre un truc indistinct depuis le salon.
Je me suis arrêtée sur une liasse de papiers jaunis. Il y avait des cartes postales en noir et blanc aux angles racornis, de fines feuilles de papier numérotées avec une belle écriture à l'ancienne, et quelques photos d'un homme à moustache, plutôt chétif, en habit de soldat. Un prénommé P. Braconnier, si on se fiait aux annotations au dos.
Des vieilles photos. Et six carnets tout usés.
J'ai ouvert le premier.
Il y avait un nom, « Paul Braconnier » et une date.
12 Juillet 1914. J'ai buté sur l'année. Sous mes fesses il y avait mon dernier relevé bancaire, reçu hier, en 2014 et sous les yeux j'avais des mots écrit un siècle plus tôt par un moustachu maigrichon.
La première page débutait donc sur cette date, et les premières lignes m'ont fait un choc :
« Le dimanche matin je reçoit mon ordre d'appel immédiat et sans délai. « Voilà ton ordre d'appel » me dit-on »
Je suis restée un peu sonnée.
« T'as le journal personnel d'un poilu ?! »
Toujours du canapé, David répondis :
« Quoi ? Y a un truc poilu ?
-Mais non, idiot, je te dis qu'il y a le journal personnel d'un poilu. »
David se leva, repassa la tête par la porte « De quoi tu parles ? 
-Dans la boîte, il y a des cahiers qui ont été écrits par un soldat pendant la première guerre .»
-Ah, Maman m'a donné les cahiers de Paul Braconnier ? C'est cool ça, je les ai jamais lu. On a fait une session Braconnier au temple quand j'étais ado, Maman avait trouvé pas mal d'actes de naissance. »
Il s'est assis à côté de moi, sur le tas « poubelle » et il a ouvert un des cahiers.
La télé en fond sonore, j'ai repris ma lecture.
J'avais un peu de mal à déchiffrer, l'écriture était fine et allongée. Le type parlait des nouveaux camarades rencontrés, d'apprentissage, de déplacements. Entre deux pages une fleur séchée attendait qu'on la cueille.
Je survolais, je m'arrêtais de temps en temps. Parfois des faits, des simples faits tout nus et un peu ennuyants, à d'autre moment on voyait qu'il avait un peu plus de temps pour écrire et les détails étaient plus nombreux.
David s’interrompit : « C'était un poète en faite, j 'en suis à un passage où il y a une espèce de soirée de talents entre soldats, il y a lu un poème qu'il a écrit, je te lis un passage :

Et ce poing qui se crispe ? Est ce contre Dieu lui même ?
Dieu permet-il qu'on meure ici dans un blasphème ?
Est ce un élan religieux
Qui fit surgir ces mains, là bas, sur l'herbe rase,
Sorte d'envol fougueux arrêté dans l'extase,
Essor mystique et radieux ? 

-j'imagine que ces poèmes devaient parler d'autre chose que de mort avant qu'il ne devienne soldat, c'est un peu macabre quand même...
-C'est un peu le sujet, oui. Le poème s’appelle « les mains des morts », il l'a écrit un an après avoir été appelé. J'imagine qu'il a eut le temps de voir suffisamment de trucs horribles pour changer d'état d'esprit. »
On a lu un peu encore et puis on est allé se coucher. Dans le lit, j'ai demandé « Qu'est ce qu'il a fait après la guerre, Paul Braconnier ?
-Oh, je n'en sait rien... ». David s'est endormi après un baiser mais moi je ne trouvais pas le sommeil.
Je me suis relevée sans faire de bruit, j'ai pris les carnets et la liasse de papiers et de photos et je suis allée dans le canapé.
C'était fou comme c'était absorbant. Je lisais et sans le voir venir je me trouvais happée dans l'univers du soldat Braconnier. Quand il en avait le temps, il prenait le temps de décrire, de raconter. Son poème terrible m'avait définitivement persuadé que Paul était un littéraire, un vrai. J'avais froid pour lui quand il parlait des veilles de nuit, je voyais le reflet de la lune dans l'eau quand il décrivait les moments de travail silencieux dans les tranchées, je m'étonnais de connaître la signification de tous les mots de sa liste d'argot poilu, des mots tout nouveaux pour lui, mais qui avaient fait leur place dans le langage courant (avoir les foies, le pinard, la gnôle...)
Le 4 Septembre 1915 il écrivait :
« Un décor particulier pour le travail de nuit :
On y arrive par un interminable boyau : bien fait, large, tortueux, avec un plancher en bois, des gabions et des claies pour masquer les hommes à la vue de l'ennemi, un petit pont dessus un ruisseau et une fontaine, et de nombreuse bêches sur la terre gluante des talus. La nuit est froide et pluvieuse. Dans les boyaux, il ya cinq centimètres d'eau que les hommes essayent de vider avec de longues pelles de bois. C'est à peu près impossible. On continu sans rien voir, certains sont allongés dans l'herbe ou dans le bois, malgré le froid et l'humidité. Il était inutile de faire sept kilomètres aller et sept kilomètres retour pour faire si peu de travail ? »

Un peu après, il écrivait :
« Nous travaillons de nuit dans le même décor que les jours précédents. Tandis que je fais vider un boyau, une balle perdue vient tomber avec un son mat dans la glaise, à mes pieds à 2 mètres, alors que j'entends son zézaiement aigu et perfide. »
Je tournais les pages, sautais des passages quand c'est trop mal écris. J'essayais de lire entre les lignes pour comprendre qu'est ce que la vie de cet ancêtre avait pu être, est ce qu'il avait une amoureuse ? A 22 ans, apparemment, il n'était pas marié. De qui, dans la famille, était-il l'arrière-arrière-grand-père ?Il parlait de ses parents, d'une sœur, Louise et de deux frères, Jean et Henri.
Dans la famille de David on faisait de la généalogie, on listait des noms sur des petites feuille de papier, on faisait des sessions au temple tous ensemble, avec les ados, les grand parents, les oncles et tantes, mais derrière tout ces noms je me rendais compte que je ne connaissais rien de leur vie. Parfois un métier sur un acte de mariage, rarement plus. Et tout d'un coup j'avais le quotidien d'un de ces noms sous les yeux, ça devenait plus que des dates et une moustache sur une photo (mais en même temps, vu l'imposante moustache je comprenais qu'on puisse résumer à ça : « Paul Braconnier, le moustachu c'est ça ? » Non, Paul Braconnier, le poète, le volontaire, le patriote, le grand lecteur...) Il faisait des résumés de bouquins dans son journal de guerre!! Genre, sur son temps libre il lisait, et moi je lisais le résumé...
Le 1er mars 1916 il écrivait : 
« Nous devons partir ce soir 1er mars.
Où allons nous ?
Le danger de la percée allemande semble conjuré, mais sans doute aurons nous de terribles bombardements. On passe, paraît-il , 48 heures en 1er ligne, autant en 2ème et autant en 3ème.
Quels sont ceux qui n'en reviendront pas ?
Chacun de nous est une parcelle de cette poussière qu'est une armée, parcelles sans valeur, sans poids dans le système. Notre situation est anonyme. Nous n'avons pas plus d'importance que tel ou tel ; que chacun de ceux qui sont morts et qui n'arrêtent même pas notre attention, de même que tel guerrier des plus vagues époques historiques. Il faudrait se considérer objectivement. Notre douleur est individuelle et subjective. »
Voilà, c'était exactement ça, la somme de tout nos ancêtres, on la survolait en lisant une liste de dates et de noms, de toute façon ils étaient tous morts. Mais on ne pensait pas à chacun d'eux comme des individus uniques, avec une vie aussi riche et complexe que nos contemporains.  « Paul, tu lis dans mes pensée », me dis-je.
Et je tournais la page. Vide. Rien. Ni sur celle là, ni sur la suivante. C'était les derniers mots écris sur le sixième carnet.
Mince, où était la suite? J'ai retourné le tas de document, j'ai regardé les cartes postales qu'il avait envoyées à ses parents, et mon regard est tombé sur un papier officiel avec cachet, annonçant:
« avis de décès.
Paul Braconnier, mort pour la France le 8 Mars 1916, à Vaux, tué à l'ennemi. »
Un vertige m'a pris. J'ai repris le sixième carnet et j'ai relu la date. Le 1er Mars 1916, une semaine avant sa mort. La carnet était bien fini, il n'y avait pas d'erreur. C'étaient ses derniers écris. Ces derniers écris où il disait « Où allons nous, combien d'entre nous reviendront ? ». Ces dernières lignes où il s’interrogeait sur la somme anonyme des morts, juste avant d'être à son tour englouti dans la masse de l’immense boucherie de la bataille de Verdun.
Je suis retournée dans la chambre, et bouleversée, j'ai chuchoté à mon mari « David, David, réveille toi, Paul est mort ! Paul Braconnier est mort ! »
La voix endormie il m'a répondu « Mais bien sur qu'il est mort, ma chéri, il serait plus que centenaire aujourd'hui. »
Les larmes aux yeux je lui ai dit « Non David, il est mort. Il est mort pendant la bataille de Verdun. Il n'est jamais rentré chez lui, il n'a jamais eut d'enfants, il n'est pas ton ancêtre parce qu'il n'a pas de descendants. »
David s'est assis dans le lit, il m'a prise dans ses bras, et ensommeillé il m'a dit « Paul Braconnier était l'oncle de ma grand-mère, c'est son petit frère, Henri, celui qui est resté à la maison parce qu'il était trop jeune pour être appelé, qui est mon arrière-grand-père. »
Je l'ai laissé se rendormir, je suis retournée au salon. J'ai rangé tous les papiers, j'ai inspiré un grand coup en repensant à ce moustachu maigrichon et j'ai refermé la boite bleue. J'ai ré-enterré Paul Braconnier dans un carton de déménagement, fermé au gros scotch marron. Et j'ai coché dans ma tête un huitième carton. Parce qu'il n'y a pas dix milliards de façon de préparer un déménagement.


Prologue :
Les extraits de carnets existent réellement, ils ont été écris par F. B., mort à Verdun, quelques jours après avoir écrit le dernier extrait, qui, étant ses dernières lignes sonnent étrangement prophétiques. C'était un homme courageux. Ses derniers actes lui ont valu la citation suivante :
« Blessé à la figure, n'a pas hésité, malgré un bombardement extrêmement violent, à déterrer des hommes de son unité ensevelis dans les tranchée. Blessé de nouveau, s'est rendu lui-même au poste de secours »
il est mort des suites de l’hémorragie causée par sa blessure.
Les carnets ont été envoyés à sa famille par le meilleur ami de F., en permission le jour de cette bataille, permission qui lui a probablement sauvé la vie.
F. B. est le frère de l'arrière-grand-père de mon petit ami, j'ai pu lire ses textes, que j'ai trouvé passionnants, grâce à un membre de sa famille, amateur de généalogie bien que non membre qui a compilé tous les documents récupérés (cartes postales, photos, lettres, journal).


2 commentaires:

  1. C'est excellent! C'est émouvant et le sujet est tellement intéressant! Bravo! Je suis heureuse d'avoir perdue face à un si beau texte.

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  2. Félicitations, c'était un beau sujet fort bien exploité!

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