Félicitation à Dray !
Je vous laisse découvrir sa nouvelle.
Je vous laisse découvrir sa nouvelle.
Il
n'y a pas dix milliards de façon de préparer un déménagement.
Enfin,
si. On peut s'y prendre vraiment à l'avance, s'organiser, faire des
petites listes (des tonnes de petites listes, les gens biens et
organisés font des petites listes), avoir des cartons tous de la
même taille, prêts à remplir de tout un tas d'objets colorés et
utiles. Ou on peut se dire que ça va, on est large; et réaliser
entre deux courses et arrivées en retard à l'heure des Mamans,
qu'on a trois malheureux cartons. Cartons dénichés, mouillés, aux
poubelles de la pharmacie d'à coté. Et réaliser que oui,
dites-donc, le temps est passé tellement vite qu'il va au moins
falloir passer chaque soir à ne faire que ça si on veut en avoir
fini le jour fatidique de l'état des lieux.
Voilà,
ça c'est plutôt ma façon à moi de faire.
J'avais
beaucoup de temps mais j'avais omis de prendre en considération que
les cinq longues semaines de préparation étaient en réalité très,
très courtes. Parce que la première semaine, la longue soirée sans
les enfants a, en faites, été prise par mes obligations de sœurs
visiteuses. Que le week-end suivant, lui, était pris par cette
activité de soso de confection de marsouins en peluche pour les
orphelins de Malaisie (c'est moche un marsouin en peluche, j'ai
presque eut honte en imaginant le pauvre gamin qui auraient droit à
mon épouvantable création). Et la semaine d'après il semble que
les patients les plus épouvantables du monde se soient donné
rendez-vous dans mon service, avec comme mission de me faire rentrer
chez moi dans un état proche de la serpillière trop essorée.
Bien
sur David travaillait bien trop pour que je puisse imaginer qu'une
partie du colossal boulot puisse être absorbée par ses bras
musclés. Oui, mon mari a des bras musclés. Je l'ai épousé pour
tout un tas de raisons et j’avoue que les bras musclés sont le
petit point bonus qui me fait encore sourire. Mais aujourd'hui ses
bras musclés ne sont pas en train de m'aider à faire les cartons,
alors bon...je souris moyennement...
Alors
j'en étais là, à trois semaine et trois cartons humides de mon
déménagement.
J'ai
remonté mes manches, j'ai appelé les garçons et je leur ai dit de
ranger leurs jouets dans le grand carton, oui celui là, non pas le
petit carton mouillé.
Et
j'ai commencé à trier leurs vêtements. En m'arrêtant toutes les
dix minutes pour régler leur chamailleries j'avais terminé le
carton « vêtements d'été » quand David rentrait.
J'ai
béni le sens pratique de David (qui m'était bien plus utile que ses
biceps) quand il m'a dit qu'il ramenait dix cartons du supermarché
d'à coté. Quand en plus, il m'a dit que ces cartons là n'étaient
pas mouillés, j'ai su que je suivrai cet homme jusqu'au royaume
céleste (sauf si mon addiction aux petits potins mesquins m'oblige à
faire une halte au royaume téleste...)
« Je
suis lancée dans les cartons, tu fais le repas, mon cœur ? »
Et
j'ai cartonné. Pendant qu'il faisait à manger, pendant qu'il
donnait à manger, pendant qu'il envoyait les enfants prendre leur
bain. J'ai cartonné comme si ma vie en dépendait parce que la
motivation était là et qu'il ne fallait surtout pas la gaspiller.
J'ai
compté les cartons faits, pour évaluer mon efficacité. J'en ai
compté huit, puis j'ai décoché mentalement celui des garçon en
enjambant la montagne de playmobil qu'ils avaient visiblement préféré
ressortir de leur carton fraîchement fermé.
« J'en
fait encore un et j'arrête »
L'appartement
était calme, les garçons s'étaient couchés, David se brossait les
dents, et j'ai attaqué le bureau, ce machin fourre-tout, sur lequel
traînent des papier dans tous les sens, des objets du quotidien qui
n'ont pas été utilisés depuis six mois et le bol de céréales du
petit dernier (Pourquoi sur le bureau de la chambre des parents,
pourquoi ? Les enfants ont une case toute particulière
consacrée à l'invention de nouvelle place pour chaque objet. Comme
par exemple ranger le cahier de la maîtresse à faire signer pour
demain sous les yaourts dans le frigo). Après avoir ramené le bol
dans la cuisine en pestant, j'ai commencé le tri des papiers :
Ne surtout pas mélanger la paperasse à régler avant de partir car
il n'y a rien de pire que d'oublier de payer la redevance télé
parce qu’on l'a perdue dans le déménagement. Je le sais parce que
je l'ai déjà fait.
J'avais
enlevé et classé en trois tas tous les papiers, quand j'ai remarqué
la boite bleue qui était là depuis une éternité et qui avait plus
où moins disparu, engloutie sous des couches sédimentaires de
notes, post-it, papiers importants et prospectus accumulés en deux
ans de gestion administrative hasardeuse. La boite bleue qu'on n'
avait jamais pris le temps d'ouvrir.
« Chéri,
on fait quoi de la boite que ta mère t'as donné ? On classe
maintenant où on s'en occupe dans le nouvel appart ?
-La
boîte ?
-Oui,
celle qu'elle t'a donné à Noël, y a deux ans.»
David
a passé la tête par l'embrasure de la porte « Tu fais ce que
tu veux, ma chérie, tu ne veux pas te poser un peu ? Y a un truc
sympa à la télé. »
Je
me suis assise en tailleur sur la pile de papiers « à classer,
pas urgent » (les deux autres, c'était « poubelle »
et « à classer, très urgent ») et j'ai ouvert la boite,
histoire de me faire une idée de ce qu'il y avait dedans.
Des
photos en vrac, des enveloppes, un bracelet de nouveau né, une toute
petite boite en bois avec trois dents de lait à l'intérieur.
Je
me suis arrêtée en pouffant de rire sur la photo de mon homme, en
slip de bain rouge, gaulé comme une brindille, lorsqu'il avait huit
ans. J'en ai regardé d'autres avec plus d'attention.
« Elle
était super belle quand elle était jeune, ta mère. Ta sœur lui
ressemble vraiment... »
Je
l'ai entendu répondre un truc indistinct depuis le salon.
Je
me suis arrêtée sur une liasse de papiers jaunis. Il y avait des
cartes postales en noir et blanc aux angles racornis, de fines
feuilles de papier numérotées avec une belle écriture à
l'ancienne, et quelques photos d'un homme à moustache, plutôt
chétif, en habit de soldat. Un prénommé P. Braconnier, si on se
fiait aux annotations au dos.
Des
vieilles photos. Et six carnets tout usés.
J'ai
ouvert le premier.
Il
y avait un nom, « Paul Braconnier » et une date.
12
Juillet 1914. J'ai buté sur l'année. Sous mes fesses il y avait mon
dernier relevé bancaire, reçu hier, en 2014 et sous les yeux
j'avais des mots écrit un siècle plus tôt par un moustachu
maigrichon.
La
première page débutait donc sur cette date, et les premières
lignes m'ont fait un choc :
« Le
dimanche matin je reçoit mon ordre d'appel immédiat et sans délai.
« Voilà ton ordre d'appel » me dit-on »
Je
suis restée un peu sonnée.
« T'as
le journal personnel d'un poilu ?! »
Toujours
du canapé, David répondis :
« Quoi ?
Y a un truc poilu ?
-Mais
non, idiot, je te dis qu'il y a le journal personnel d'un poilu. »
David
se leva, repassa la tête par la porte « De quoi tu parles ?
-Dans
la boîte, il y a des cahiers qui ont été écrits par un soldat
pendant la première guerre .»
-Ah,
Maman m'a donné les cahiers de Paul Braconnier ? C'est cool ça, je
les ai jamais lu. On a fait une session Braconnier au temple quand
j'étais ado, Maman avait trouvé pas mal d'actes de naissance. »
Il
s'est assis à côté de moi, sur le tas « poubelle » et
il a ouvert un des cahiers.
La
télé en fond sonore, j'ai repris ma lecture.
J'avais
un peu de mal à déchiffrer, l'écriture était fine et allongée.
Le type parlait des nouveaux camarades rencontrés, d'apprentissage,
de déplacements. Entre deux pages une fleur séchée attendait qu'on
la cueille.
Je
survolais, je m'arrêtais de temps en temps. Parfois des faits, des
simples faits tout nus et un peu ennuyants, à d'autre moment on
voyait qu'il avait un peu plus de temps pour écrire et les détails
étaient plus nombreux.
David
s’interrompit : « C'était un poète en faite, j 'en
suis à un passage où il y a une espèce de soirée de talents entre
soldats, il y a lu un poème qu'il a écrit, je te lis un passage :
Et
ce poing qui se crispe ? Est ce contre Dieu lui même ?
Dieu
permet-il qu'on meure ici dans un blasphème ?
Est
ce un élan religieux
Qui
fit surgir ces mains, là bas, sur l'herbe rase,
Sorte
d'envol fougueux arrêté dans l'extase,
Essor
mystique et radieux ?
-j'imagine
que ces poèmes devaient parler d'autre chose que de mort avant qu'il
ne devienne soldat, c'est un peu macabre quand même...
-C'est
un peu le sujet, oui. Le poème s’appelle « les mains des
morts », il l'a écrit un an après avoir été appelé.
J'imagine qu'il a eut le temps de voir suffisamment de trucs
horribles pour changer d'état d'esprit. »
On
a lu un peu encore et puis on est allé se coucher. Dans le lit, j'ai
demandé « Qu'est ce qu'il a fait après la guerre, Paul
Braconnier ?
-Oh,
je n'en sait rien... ». David s'est endormi après un baiser
mais moi je ne trouvais pas le sommeil.
Je
me suis relevée sans faire de bruit, j'ai pris les carnets et la
liasse de papiers et de photos et je suis allée dans le canapé.
C'était
fou comme c'était absorbant. Je lisais et sans le voir venir je me
trouvais happée dans l'univers du soldat Braconnier. Quand il en
avait le temps, il prenait le temps de décrire, de raconter. Son
poème terrible m'avait définitivement persuadé que Paul était un
littéraire, un vrai. J'avais froid pour lui quand il parlait des
veilles de nuit, je voyais le reflet de la lune dans l'eau quand il
décrivait les moments de travail silencieux dans les tranchées, je
m'étonnais de connaître la signification de tous les mots de sa
liste d'argot poilu, des mots tout nouveaux pour lui, mais qui
avaient fait leur place dans le langage courant (avoir les foies, le
pinard, la gnôle...)
Le
4 Septembre 1915 il écrivait :
« Un
décor particulier pour le travail de nuit :
On
y arrive par un interminable boyau : bien fait, large, tortueux,
avec un plancher en bois, des gabions et des claies pour masquer les
hommes à la vue de l'ennemi, un petit pont dessus un ruisseau et une
fontaine, et de nombreuse bêches sur la terre gluante des talus. La
nuit est froide et pluvieuse. Dans les boyaux, il ya cinq centimètres
d'eau que les hommes essayent de vider avec de longues pelles de
bois. C'est à peu près impossible. On continu sans rien voir,
certains sont allongés dans l'herbe ou dans le bois, malgré le
froid et l'humidité. Il était inutile de faire sept kilomètres
aller et sept kilomètres retour pour faire si peu de travail ? »
Un
peu après, il écrivait :
« Nous
travaillons de nuit dans le même décor que les jours précédents.
Tandis que je fais vider un boyau, une balle perdue vient tomber avec
un son mat dans la glaise, à mes pieds à 2 mètres, alors que
j'entends son zézaiement aigu et perfide. »
Je
tournais les pages, sautais des passages quand c'est trop mal écris.
J'essayais de lire entre les lignes pour comprendre qu'est ce que la
vie de cet ancêtre avait pu être, est ce qu'il avait une
amoureuse ? A 22 ans, apparemment, il n'était pas marié. De
qui, dans la famille, était-il l'arrière-arrière-grand-père ?Il
parlait de ses parents, d'une sœur, Louise et de deux frères, Jean
et Henri.
Dans
la famille de David on faisait de la généalogie, on listait des
noms sur des petites feuille de papier, on faisait des sessions au
temple tous ensemble, avec les ados, les grand parents, les oncles et
tantes, mais derrière tout ces noms je me rendais compte que je ne
connaissais rien de leur vie. Parfois un métier sur un acte de
mariage, rarement plus. Et tout d'un coup j'avais le quotidien d'un
de ces noms sous les yeux, ça devenait plus que des dates et une
moustache sur une photo (mais en même temps, vu l'imposante
moustache je comprenais qu'on puisse résumer à ça : « Paul
Braconnier, le moustachu c'est ça ? » Non, Paul
Braconnier, le poète, le volontaire, le patriote, le grand
lecteur...) Il faisait des résumés de bouquins dans son journal de
guerre!! Genre, sur son temps libre il lisait, et moi je lisais le
résumé...
Le
1er mars 1916 il écrivait :
« Nous
devons partir ce soir 1er mars.
Où
allons nous ?
Le
danger de la percée allemande semble conjuré, mais sans doute
aurons nous de terribles bombardements. On passe, paraît-il , 48
heures en 1er ligne, autant en 2ème et autant en 3ème.
Quels
sont ceux qui n'en reviendront pas ?
Chacun
de nous est une parcelle de cette poussière qu'est une armée,
parcelles sans valeur, sans poids dans le système. Notre situation
est anonyme. Nous n'avons pas plus d'importance que tel ou tel ;
que chacun de ceux qui sont morts et qui n'arrêtent même pas notre
attention, de même que tel guerrier des plus vagues époques
historiques. Il faudrait se considérer objectivement. Notre douleur
est individuelle et subjective. »
Voilà,
c'était exactement ça, la somme de tout nos ancêtres, on la
survolait en lisant une liste de dates et de noms, de toute façon
ils étaient tous morts. Mais on ne pensait pas à chacun d'eux comme
des individus uniques, avec une vie aussi riche et complexe que nos
contemporains. « Paul, tu lis dans mes pensée »,
me dis-je.
Et
je tournais la page. Vide. Rien. Ni sur celle là, ni sur la
suivante. C'était les derniers mots écris sur le sixième carnet.
Mince,
où était la suite? J'ai retourné le tas de document, j'ai regardé
les cartes postales qu'il avait envoyées à ses parents, et mon
regard est tombé sur un papier officiel avec cachet, annonçant:
« avis
de décès.
Paul
Braconnier, mort pour la France le 8 Mars 1916, à Vaux, tué à
l'ennemi. »
Un
vertige m'a pris. J'ai repris le sixième carnet et j'ai relu la
date. Le 1er Mars 1916, une semaine avant sa mort. La carnet était
bien fini, il n'y avait pas d'erreur. C'étaient ses derniers écris.
Ces derniers écris où il disait « Où allons nous, combien
d'entre nous reviendront ? ». Ces dernières lignes où il
s’interrogeait sur la somme anonyme des morts, juste avant d'être
à son tour englouti dans la masse de l’immense boucherie de la
bataille de Verdun.
Je
suis retournée dans la chambre, et bouleversée, j'ai chuchoté à
mon mari « David, David, réveille toi, Paul est mort !
Paul Braconnier est mort ! »
La
voix endormie il m'a répondu « Mais bien sur qu'il est mort, ma
chéri, il serait plus que centenaire aujourd'hui. »
Les
larmes aux yeux je lui ai dit « Non David, il est mort. Il est
mort pendant la bataille de Verdun. Il n'est jamais rentré chez lui,
il n'a jamais eut d'enfants, il n'est pas ton ancêtre parce qu'il
n'a pas de descendants. »
David
s'est assis dans le lit, il m'a prise dans ses bras, et ensommeillé
il m'a dit « Paul Braconnier était l'oncle de ma grand-mère,
c'est son petit frère, Henri, celui qui est resté à la maison
parce qu'il était trop jeune pour être appelé, qui est mon
arrière-grand-père. »
Je
l'ai laissé se rendormir, je suis retournée au salon. J'ai rangé
tous les papiers, j'ai inspiré un grand coup en repensant à ce
moustachu maigrichon et j'ai refermé la boite bleue. J'ai ré-enterré
Paul Braconnier dans un carton de déménagement, fermé au gros
scotch marron. Et j'ai coché dans ma tête un huitième carton.
Parce qu'il n'y a pas dix
milliards de façon de préparer un déménagement.
Prologue :
Les
extraits de carnets existent réellement, ils ont été écris par F.
B., mort à Verdun, quelques jours après avoir écrit le dernier
extrait, qui, étant ses dernières lignes sonnent étrangement
prophétiques. C'était un homme courageux. Ses derniers actes lui
ont valu la citation suivante :
« Blessé
à la figure, n'a pas hésité, malgré un bombardement extrêmement
violent, à déterrer des hommes de son unité ensevelis dans les
tranchée. Blessé de nouveau, s'est rendu lui-même au poste de
secours »
il
est mort des suites de l’hémorragie causée par sa blessure.
Les
carnets ont été envoyés à sa famille par le meilleur ami de F.,
en permission le jour de cette bataille, permission qui lui a
probablement sauvé la vie.
F.
B. est le frère de l'arrière-grand-père de mon petit ami, j'ai pu
lire ses textes, que j'ai trouvé passionnants, grâce à un membre
de sa famille, amateur de généalogie bien que non membre qui a
compilé tous les documents récupérés (cartes postales, photos,
lettres, journal).
C'est excellent! C'est émouvant et le sujet est tellement intéressant! Bravo! Je suis heureuse d'avoir perdue face à un si beau texte.
RépondreSupprimerFélicitations, c'était un beau sujet fort bien exploité!
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